Itavi : Anticiper l’avenir de la filière

Bien-être animal, Influenza aviaire, compétitivité des élevages… Anne Richard, directrice de l’Itavi (Institut Technique de l’Aviculture) revient sur l’actualité des filières avicoles en matière de recherche appliquée.
Quels grands sujets ont particulièrement occupé les équipes de l’Itavi cette année ?
Une trentaine d’ingénieurs travaillent à l’Itavi. Et chaque année, nos équipes mènent entre 80 et 100 projets en parallèle. Notre objectif étant de répondre aux attentes de la filière avicole en matière de recherche appliquée. Et dans ce cadre-là, les professionnels redéfinissent chaque année les priorités sur lesquelles ils vont travailler.
Notre manière de travailler a également évolué ces dernières années. En effet, il y a encore trois ou quatre ans, nous menions des études par thématique (alimentation des volailles, problème sanitaire, etc.). Mais aujourd’hui, nous développons une approche pluridisciplinaire, en mixant les différentes « sciences » autour d’une même question.
Par exemple, sur la question du bien-être animal, nous devons nous assurer que les mesures que nous proposons soient aussi économiquement viables. Ou encore, lorsqu’on propose une solution à un problème sanitaire, on évalue aussi son impact sur l’environnement ou sur l’économie de l’exploitation. De fait, les thématiques sont de plus en plus interconnectées, avec une approche multicritères pour offrir à la filière et aux éleveurs des solutions complètes.
Parmi les grands sujets qui ont occupé nos équipes d’ingénieurs, il y a notamment eu l’Influenza aviaire. Ajoutez à cela, le plan Ecoantibio, qui a aussi nécessité beaucoup d’investissements.
L’autre sujet qui a émergé de façon significative, c’est le bien-être animal. Sur ce sujet, il nous a fallu prendre en compte les attentes sociétales et consulter des représentants d’ONG en complément du travail des professionnels. L’objectif est que le résultat ne soit pas critiquable par la société civile. C’est le projet Ebene, présenté au SPACE. L’objectif de ce projet est de définir, pour chaque espèce, des indicateurs qui permettent d’évaluer le comportement normal de l’animal. Il est important de considérer les spécificités de chaque espèce lorsque l’on évoque la question du bien-être animal, car certaines ONG particulièrement militantes tendent parfois à faire de l’anthropomorphisme et pensent qu’un poulet a les mêmes besoins qu’un homme.
À terme, le technicien de l’OP ou l’éleveur pourra donc mesurer le bien-être des animaux, à partir de l’observation des critères réunis dans une grille. Ces outils devront évoluer au fur et à mesure que le nombre d’utilisateurs augmente. L’éleveur pourra ainsi voir quels sont ses points forts et ses points faibles et ce qui peut être éventuellement amélioré dans la gestion des animaux.
Mais ce projet n’est qu’un projet parmi d’autres. Nous travaillons aussi sur une multitude de sujets très techniques concernant par exemple l’alimentation des animaux, l’environnement, les bâtiments d’élevage, les parcours pour les filières plein air ou encore sur le développement d’outils et de méthodes pour aider les éleveurs et les OP à travailler.
Comment articulez-vous ces travaux, entre recherche fondamentale et expérimentation sur le terrain ?
C’est précisément le rôle de l’Itavi de faire le lien entre ces deux domaines, car il est important que les travaux arrivent jusqu’aux professionnels. C’est donc dans ce cadre-là que depuis déjà quelques années ont été créées deux Unités Mixtes de Technologie.
La première se situe à Ploufragan. Là, l’Itavi va avec l’Anses définir le cadre de travail et les projets à mettre en œuvre sur les questions sanitaires. D’un côté, l’Anses apporte sa vision fondamentale des choses et de son côté, l’Itavi travaille l’application sur le terrain. Nous avons par exemple plusieurs projets portant sur la santé des animaux et la santé des hommes, souvent liées, notamment sur la question des poussières dans les élevages ou encore l’Influenza aviaire.
La seconde UMT se situe à Nouzilly, à côté de Tours. Là, l’Itavi travaille essentiellement avec l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) sur des sujets concernant l’animal en lien avec son environnement, mais aussi son comportement et son alimentation. Des projets portent sur des sujets tels que l’utilisation raisonnée des ressources, la qualité des produits, l’adaptation de l’animal à son environnement, l’acceptabilité de l’élevage, la multiperformance, les biomarqueurs, etc. Cette UMT a été élargie pour inclure l’ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique) et le SYSAAF (Syndicat Des Sélectionneurs Avicoles et Aquacoles Français).
Ces UMT ont pour objectif de penser tous les grands projets qui pourront faire évoluer la filière avicole.
Parmi tous ces projets, lesquels ont abouti ou enregistré des avancées significatives cette année ?
En dehors du projet Ebene, que nous avons déjà évoqué, on peut citer Ecoalim, qui concerne l’optimisation de l’alimentation des animaux. Le projet est aujourd’hui terminé et un ingénieur délivre en ce moment des formations sur le sujet.
Autre fait marquant de l’année, les fiches pédagogiques sur l’Influenza aviaire, rédigées par l’Itavi il y a un an et demi, ont été revues cette année par le ministère de l’Agriculture et sont parues au bulletin officiel en septembre. Pour nos équipes, c’est l’officialisation du travail réalisé. Nous allons d’ailleurs poursuivre ce travail en déposant le guide des bonnes pratiques d’hygiène auprès de l’Anses.
Un autre sujet sur lequel vous avez travaillé et qui est d’actualité, c’est la transformation des élevages de pondeuses en cage. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Les recherches de l’Itavi sur la filière pondeuse se sont concentrées sur deux axes. Nous avons d’abord travaillé sur les alternatives à l’élimination des poussins mâles. Puis plus récemment, nous avons effectivement étudié comment reconvertir les élevages de pondeuses en cages vers d’autres modes d’élevage. C’est le fameux projet « Out of the box ». Un travail important a été réalisé par Romaric Chenut, pour établir les différentes options possibles. Le travail est encore en cours et une délégation de professionnels comprenant un ou deux ingénieurs de l’Itavi est allée voir ce qu’il se fait ailleurs en Europe.
Vous devez également démarrer des travaux sur les enjeux à venir. Comment faites-vous cela ?
Oui, notre rôle est aussi d’être toujours dans l’anticipation. Sur ces sujets, les filières sont souvent frileuses. Elles ont peur de voir émerger des questions qui ne sont pas encore à l’ordre du jour Nous essayons de monter ces projets quand même en discutant avec les professionnels, car cette anticipation est nécessaire pour la filière. En effet, le jour où le problème se présente, il est préférable d’avoir un coup d’avance. C’est le cas par exemple concernant le bien-être animal. Nous avons commencé à nous pencher sur le sujet il y a plus de trois ans, ce qui nous permet d’aboutir aujourd’hui, alors que le sujet devient brûlant.
Pour permettre ce travail d’anticipation, nous sommes toujours en train de faire évoluer nos équipes pour répondre aux nouveaux besoins des filières avicoles. Par exemple, il y a un peu plus d’un an, nous avons recruté une personne sur l’élevage de précision pour étudier de nombreuses questions qui recoupent un peu toutes les thématiques. Nous allons également renforcer les équipes sur le bâtiment d’élevage, car il y a de gros enjeux pour arriver à avoir des bâtiments à la fois compétitifs, efficaces et en accord avec les attentes sociétales.
Récemment, nous avons embauché une sociologue que nous partageons avec l’Institut de l’élevage et l’institut du porc, car on s’aperçoit que l’approche sociologique est de plus en plus importante dans l’élevage et on ne peut pas se permettre de ne pas avoir de compétence de ce côté-là.
Retrouvez l'intégralité de l'interview dans le numéro Filières Avicoles de janvier 2018.