Quelles sont les conséquences de cet épisode d’Influenza aviaire ?
Pour la partie dépeuplement, on commence à voir le bout du tunnel, en tout cas je l’espère. Nous avons dépeuplé à ce jour (5 février) 2,4 millions de canards. C’est conséquent, mais relativement moins que la dernière épizootie en 2017 lors de laquelle nous avions dû abattre 4,5 millions de canards.
Nous n’avons pas encore de perspectives précises sur le redémarrage puisque tant qu’il apparaît de nouveaux foyers, tant que les exploitations dépeuplées ne sont pas nettoyées et désinfectées, on peut difficilement se projeter sur les prochaines mises en place. Néanmoins, on vise une perspective de redémarrage pour mi-avril, ce qui permettrait de reprendre les abattages courant août. Par conséquent, si on compte le temps de vide sanitaire et le temps d’élevage de 12 semaines, on va perdre en capacité de production aux alentours de 4 millions de canards et il va nous manquer 6,5 millions de canards sur l’année 2021.
En 2020, la production a déjà baissé de 13 points puisque dans un premier temps, il a fallu l’ajuster en janvier par rapport à la baisse des ventes liée à la loi Egalim, puis le confinement en mars nous a forcés à poursuivre cette baisse.
On estime qu’en 2021, la production sera réduite de 20 % supplémentaires pour atteindre les volumes de foie gras de 2017 (11 520 tonnes prévues cette année contre 11 450 en 2017). Évidemment, ces prévisions sont valables uniquement si l’épizootie est progressivement maîtrisée et ne s’étend pas sur de nouvelles zones.
Aujourd’hui, le virus vous semble contenu ?
Oui, mais nous avons eu malgré tout 24 foyers cette semaine, pour atteindre 440 cas environ. Ce ne sont pas exclusivement des foyers en canards puisqu’on compte aussi certains foyers en Gallus. Mais comme nous avons dépeuplé 5 km autour de chaque foyer, les zones se superposent progressivement. Et parfois, il reste une poche non dépeuplée, avec un foyer qui se déclare.
Quelle est la situation au niveau des stocks en viande ?
Nous avons tout juste de quoi alimenter les fonds de rayon en magret, mais il ne sera pas possible de faire des promotions durant l’été et nous nous dirigeons vers une rupture de marchandises dans les mois qui viennent.
Il reste quelques stocks sur la partie confit, et nous avons moins d’inquiétudes de ce côté-là.
Qu’en est-il pour la partie foie gras ?
On a commencé l’année avec des stocks importants puisque les ventes de foie gras ont terminé l’année 2019 sur une baisse de -11 % suite à la loi Egalim. Aujourd’hui, la consommation se résume en trois chiffres : la partie GMS pour 40% de parts de marché, à l’identique de la RHF (Restauration Hors Foyer), l’export et la vente directe à la ferme qui représente près de 20%.
Au 31 décembre 2020, les chiffres des ventes (Iri ou Kantar) en GMS sont mauvais, mais moins catastrophiques que l’on pensait. En effet, fin novembre, la consommation en GMS atteignait déjà -16 % en cumulé, laissant présager une fin d’année catastrophique. Et finalement, la saison festive nous a permis de redresser ce résultat annuel à -3,2 %. Les ventes de la saison festive de mi-octobre à mi-janvier ont augmenté de 1 point par rapport à l’an dernier, mais ce qui nous a sauvé, ce sont les ventes des deux dernières semaines de décembre : avec + 31 % (par rapport à l’an dernier) du 21 au 27 décembre et + 28 % pour la semaine du 28 décembre. Ces deux semaines nous ont ainsi permis de retrouver de l’embonpoint sur la partie GMS. On constate par ailleurs que nous n’avons pas non plus perdu en valeur, puisque même en supprimant toutes les promotions, on est à -2,7 % à la fin de l’année.
En revanche, le segment RHF a quand même beaucoup souffert avec les restaurants vides. Mais malgré tout, on s’attendait à pire puisque le premier semestre 2021 enregistrait déjà — 46 % par rapport à 2020. Et finalement, le deuxième semestre n’a fait que — 26 %, nous permettant de finir l’année à — 36 %. C’est un très mauvais score, mais on craignait qu’il soit bien pire encore. Le Click & Collect et toutes les initiatives de ventes à emporter nous ont quand même été bénéfiques.
Enfin, en export, nous n’avons pour l’instant que les chiffres des 11 premiers mois, sachant qu’en décembre les frontières étaient de toute façon fermées à cause de l’Influenza. Sur les 11 premiers mois, nous sommes déjà à -26 %, et nous devrions donc finir l’année autour de -30 %. Cela génère forcément du stock.
Donc même si la volumétrie de la production de 2021 va être très affaiblie, il faut rassurer tous les consommateurs : il y aura du foie gras pour tout le monde. Il y a seulement la partie magret, où cela risque d’être un peu compliqué à l’approche de l’été.
Quelles sont les conditions pour pouvoir relancer les mises en place ?
Les conditions sont définies de façon réglementaire. Il faut d’abord une absence de nouveaux foyers, puis un nettoyage désinfection qui se fait en trois temps :
— Le jour où on sort les animaux, on pulvérise l’ensemble du bâtiment intérieur pour figer les poussières.
— Ensuite, les bâtiments sont vidés, suivi d’un premier nettoyage-désinfection, à l’issue duquel est effectué un premier contrôle visuel et bactériologique.
— Après un délai de 15 jours, un second nettoyage-désinfection est réalisé. Après quoi, un nouveau contrôle réalisé par les agents de la DDCSPP est nécessaire pour obtenir l’autorisation de lever le vide sanitaire.
On est sur plus de 400 foyers, donc tout cela va prendre du temps.
Ces levées seront-elles effectuées par zone ?
C’est toute la question. Le Cifog demande à ce que cela puisse effectivement être fait par zone. En 2017, cela s’est fait sur l’ensemble de la grande zone : toute la zone a été dépeuplée, puis un vide sanitaire a été imposé et on savait que mi-mai, on pouvait recommencer à mettre en place.
Cette année, comme on n’a pas tout dépeuplé, nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau foyer. La seule chose que l’on sait c’est que depuis mi-janvier, dans les Landes, aucun caneton d’un jour ne rentre dans la zone. Les animaux entrés juste avant l’apparition des premiers cas arriveront en fin de lot au 10 avril. Donc il ne sera donc guère possible de lever la zone avant mi-avril.
L’État a-t-il été suffisamment réactif selon vous, notamment dans la distribution des aides ?
On a constaté une bonne réactivité de l’État par rapport à la gestion des foyers. Les premiers foyers ont déjà perçu des acomptes, entre 65 et 75 % de la valeur des animaux abattus sur la base des abaques de 2017. Les prix n’étant pas les mêmes en 2017 qu’en 2021, le solde devra compenser la différence.
En revanche, on déplore que la gestion soit régionale et non nationale, et n’est donc pas la même que vous soyez dans les Landes ou dans le Gers. Par exemple, dans les Landes, c’est la DDCSPP (directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations) donc la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation) qui finance les acomptes et le dépeuplement est géré par la DRAF (Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt). Dans le Gers, les foyers sont toujours pris en charge par la DDCSPP, mais les producteurs dépeuplés ne savent toujours pas à qui s’adresser pour le versement de leur acompte.
Donc la réactivité a été bonne, mais elle a été accompagnée par une cacophonie un peu désagréable. Néanmoins, on constate la volonté et l’engagement du ministre sur le fait que les indemnisations seront a minima à la hauteur de celles de 2017, voire supérieures et plus rapides. On attend donc la position de Matignon, qui doit trancher pour savoir où sont les sources de financement : si la DGAL prend en charge l’ensemble des foyers de dépeuplement ou si ce sera la DGPE (Direction Générale de la Performance Économique et environnementale des entreprises) via FranceAgrimer. Par ailleurs, on est encore dans le flou concernant toute la partie aval (les transporteurs, les fournisseurs d’aliment, les intervenants en élevage, les abattoirs, les conserveries) et amont (les couvoirs). Les usines sont encore sur du chômage partiel et on ne sait pas ce qu’il se passera au 1er mars, lorsque ce régime est censé changer : passera-t-on en droit commun, ou restera-t-on sur un régime Covid ? C’est le flou artistique complet. Matignon s’était engagé à nous donner une réponse il y a deux jours, mais on attend toujours. On espère avoir une réponse mi-février.
Quelles sont les améliorations et les marges de progrès concernant la gestion de crise par rapport à 2017 ?
Le changement le plus spectaculaire est lié à la mise en place dès la fin 2016 de la base de données avicoles avec cartographie et géolocalisation en temps réel. En 2017, un accord interprofessionnel a obligé tous les producteurs à enregistrer leur exploitation et déclarer tous les mouvements d’animaux. C’est une force de frappe énorme qui nous a largement facilité la tâche, alors qu’en 2017, on devait pratiquement sillonner les campagnes avec nos voitures pour savoir où étaient les élevages, ceux qui étaient vides, ceux qui étaient ouverts… Cette année, à chaque fois qu’un nouveau foyer était déclaré, on savait exactement ce qu’il y avait autour, le nombre d’élevages, le nombre d’animaux, l’âge des animaux, etc.
C’est l’amélioration la plus spectaculaire et la plus positive de ce nouvel épisode.
Autre amélioration importante : en 2016-2017, nous avons promené le virus avec nos camions. Aujourd’hui, aucun cas n’a été proliféré via un véhicule. Depuis trois ans, les véhicules sont systématiquement dédiés avec des enlèvements d’animaux sans rupture de charge, c’est-à-dire que lorsqu’un camion va chercher des animaux dans un élevage, il ne repasse jamais par un autre élevage.
Tous les camions sont bâchés, lavés. Toutes les caisses sont nettoyées à l’eau à plus de 70 °C pour détruire le virus. Ce protocole mis en place en 2017 s’est avéré d’une efficacité extraordinaire.
En revanche, la gestion a pêché dans les moyens de l’État pour détruire les foyers rapidement. Dans le Grand Ouest, on a eu quatre foyers au total sur les deux mois. Chaque foyer a pu être dépeuplé sans problèmes dès le lendemain ou le surlendemain de sa déclaration. Mais quand, dans le Sud-Ouest, il y avait 20 à 30 nouveaux foyers par jour pendant une semaine. Les moyens étaient incapables de suivre. On a eu des animaux malades, avec des cas cliniques, qui ont attendu entre 10 et 12 jours, sans parler de l’état psychologique des éleveurs qui doivent se lever tous les matins pour ramasser les morts, les mettre dans des remorques ou parfois seulement dans le coin du bâtiment, parce que les équarrisseurs sont débordés. Il y a eu un manque de moyens crucial en hommes et en matériel, mais cela s’explique, car on ne peut pas avoir non plus une puissance de frappe aussi importante que l’ampleur de la crise le nécessitait, constamment disponible.
Des réflexions sont-elles déjà initiées pour améliorer ce point ?
Faut-il mettre des moyens pour éteindre le feu où vaut-il mieux faire en sorte que le feu ne s’allume pas ? Je préfère qu’il n’y ait pas de feu de forêt plutôt que devoir financer toute une flotte de Canadairs qui patiente dans les hangars.
On le voit très bien, les cas index ne sont que des cas liés à la faune sauvage, puisqu’aucun n’est lié aux transports. Ces cas index sont des étincelles qui tombent et s’il y a une poudre disponible au sol, le feu prend. Dans les Landes, il y a eu des dérogations pléthoriques (plus de 300 demandes effectuées, dont plus de 200 acceptées) pour mettre les animaux dehors. Une fois que le virus tombait au sol, le canard étant le maillon faible puisque c’est le premier qui capte l’Influenza, il s’est proliféré d’élevage en élevage. Je vois donc deux raisons : les animaux dehors, et une intensification des animaux en extérieur. À l’inverse en Vendée et en Deux-Sèvres, lorsqu’il y a eu des cas index, les foyers étaient détruits, mais en l’absence d’animaux dehors, les feux ne se sont pas propagés. Le bilan est ainsi de quatre foyers, contre plus de 400 dans les Landes.
Pouvez-vous rappeler comment sont gérés les animaux en Vendée ?
Depuis 2018, à chaque fois que l’on arrive en période hivernale, même sans être en niveau de risque élevé, les animaux sont mis à l’abri dans des bâtiments. Les organisations de production se sont toutes mises d’accord en 2017.
Dans les Landes, ils ont l’antériorité et l’historique d’une image de production qui leur coûte cher aujourd’hui. Dans l’Ouest, l’élevage de canards à gaver n’a pas 35 ans, mais on a deux « petits volaillers » qui s’appellent LDC et Galliance, qui ont demandé à ce que les animaux puissent être mis à l’abri en cas d’Influenza, car les risques de conséquences pour l’export seraient trop importants et détruiraient le noyau dur de la volaille française des Pays de la Loire et de la Bretagne. Dans les faits, nous avons donc la même réglementation que dans les Landes, mais on a une volonté importante d’être proactif par rapport au risque et d’abriter les animaux.
C’est ce que je répète haut et fort à ceux qui pensent que je suis un ayatollah du bâtiment, c’est que l’ADN de la production de foie gras est bien évidemment l’élevage en plein air — et c’est ce que nous demande la société civile — mais notre devoir est de protéger nos animaux — et c’est aussi ce que nous demande la société civile, de ne pas laisser souffrir nos animaux —.
Quel impact la Covid a-t-il eu sur la filière ?
C’est le double effet Kisscool ! Mais malheureusement, on vit tellement un tsunami avec l’Influenza aviaire que la Covid est presque passée au second plan.
Les conséquences de la Covid, c’est une baisse des ventes en GMS et surtout en RHF et à l’international. Au mois de novembre, on avait anticipé l’impact de la Covid, en visant une baisse de 15 % de la production pour compenser la baisse des ventes en 2021. Mais il n’a même pas été nécessaire d’arbitrer sur comment ou qui, car la production a naturellement baissé de 20 points.
Ceci étant, il va bien falloir que ça s’arrête, car avec les restaurants fermés, on vit une période de sinistrose complète. En effet, le foie gras se vend surtout en restaurants en France et à l’étranger. Or, l’export (hors UE) est suspendu et les restaurants sont fermés. Donc c’est juste dramatique.
Quelles sont les perspectives pour 2021 ?
On n’a pas le droit de refaire les mêmes erreurs que par le passé. Déjà, celles-ci nous n’avions pas le droit de les faire. Aujourd’hui, on a le problème des cas index qui viennent de la faune sauvage et on n’y changera rien. Dès le mois d’août, on savait que les oiseaux migrateurs qui étaient au Kazakstan et en Russie étaient atteints. Il y avait des milliers d’oiseaux morts du virus hautement pathogène H5N8 autour de la mer baltique. On a été prévenu, mais l’administration et les interprofessions auraient dû insister. On n’a pas le droit de refaire la même erreur quand on est prévenu aussi longtemps à l’avance. On n’a pas le droit d’avoir des animaux qu’on ne puisse pas mettre à l’abri quand on sait que des oiseaux porteurs du virus arrivent. Je ne dis pas qu’il faille enfermer les animaux systématiquement chaque hiver, mais il faut avoir la capacité de les mettre à l’abri en cas de danger. Tous ces animaux dehors ont été autorisés par des dérogations signées par les préfets. L’administration a donc une responsabilité et un rôle à jouer prépondérant.
Il faut en tirer la leçon. Pourquoi le virus s’est propagé comme une traînée de poudre dans les Landes : des animaux dehors et trop d’animaux. À l’avenir, il faut pouvoir abriter les animaux et désintensifier cette région. C’est la perspective pour 2021 et on n’aura pas le droit d’échouer.